Jeannot

Le glossaire

“Il a dit quoi ?J’ai pas compris !”

Parce que Jeannot est un film de passionnés de montagne et d’escalade, il arrive que les protagonistes utilisent du jargon bien propre à ce milieu.

Plus encore, les histoires racontées par Jean se déroulent à une époque où le matériel et les pratiques étaient bien différents de ce que l’on connait aujourd’hui. Certains termes pourraient donc même échapper à certains grimpeurs actuels !

Pour permettre au plus grand nombre d’accéder au film et d’en saisir plus facilement les subtilités, le glossaire présenté sur cette page donne les clés de lecture principales.

Les mots indiqués en gras font partie du vocabulaire utilisé fréquemment par les protagonistes.

Les pitons

Dans le film, vous entendrez souvent le terme “piton”.

Lorsque Jean débute l’escalade en 1964, le matériel utilisé par les alpinistes est sommaire et peu sécurisant comparé aux standards actuels. L’encordement se fait directement à la taille par un noeud, sans baudrier. Les appareils d’assurage n’existent pas, on assure son partenaire « à l’épaule », en passant la corde dans le dos, sous les bras. Le casque quant à lui est peu utilisé, il s’impose petit à petit en montagne pour se protéger des chutes de pierres mais reste absent en falaise.

Les pitons, pièce métallique en forme de clou avec une tête percée qui permet d’y passer un mousqueton, sont déjà répandus et utilisés lorsque le terrain ne permet pas d’utiliser des éléments naturels (formes du rocher, végétation) pour se protéger. En pratique, le piton se plante dans les failles du rocher comme un clou : avec un marteau. Il en existe de nombreuses forme permettant de s’adapter aux différents types de rochers.

Compte tenu de leur poids et de leur coût, les alpinistes ne peuvent en emporter qu’un nombre limité dans leurs ascensions. Les pitons devront donc être placés judicieusement pour protéger uniquement les passages difficiles. Cela implique que le grimpeur de tête s’expose à une chute importante si il venait à tomber loin du dernier piton posé. Le second de cordée, quant à lui, aura la tâche de récupérer les pitons au passage, ce qui n’est pas toujours une mince affaire ! Dans certains cas, les pitons sont laissés en place, offerts par le grimpeur pour sécuriser la voie ou marquer son passage.

Un point

Lorsque les grimpeurs évoquent “un point”, ils parlent d’un point d’assurage, c’est à dire d’un ancrage fixe dans la paroi dans lequel on pourra fixer un mousqueton et passer la corde. Un point peut donc référer à de nombreux types d’équipements : pitons, coins de bois, spits, broches scellées, coinceurs…

On parle aussi parfois de points d’ancrage naturels : un trou dans la roche, une lunule, un becquet, un arbre ou encore un pied de buisson.

En tête / en second

Le premier grimpeur à passer grimpe en tête. C’est à dire qu’il passe la corde qui le relie au second dans les points d’assurage au fur et à mesure de sa progression. Il est donc nécessaire pour avancer qu’il s’élève au dessus du dernier point avant d’en placer un nouveau plus haut. Le rôle du grimpeur en tête, aussi appelé premier de cordée ou leader, demande de l’assurance et de la force mentale pour s’engager dans des passages difficiles. En effet, chaque mètre parcouru au dessus de son dernier point d’assurage l’expose à une chute du double de la hauteur.

Les cordes utilisées pour l’escalade en montagne et en grande voie font généralement 50 ou 60 mètres. Pour gravir des parois de plusieurs centaines de mètres, il faudra donc découper l’ascension en plusieurs longueurs. À la fin de chaque longueur, le grimpeur de tête s’assure sur un relais en général constitué d’au moins deux points solides. Il peut alors assurer son second depuis le haut, pour lui permettre de le rejoindre au relais. Pendant son ascension, le second récupère le matériel mis en place par le premier pour se protéger. Lorsque le second termine la longueur, il rejoint le leader et tous les deux sont attachés au même relais. Le premier peut alors repartir ou bien ils peuvent échanger les rôles et le second devient leader sur la longueur d’après, c’est ce que l’on appelle grimper en réversible.

Un point scellé, usiné par Jean lui-même !

Jean grimpe en tête dans la voie de Cessole au Corno Stella, il est en train de passer la corde dans une dégaine (deux mousquetons reliés par une sangle) attachée à un point en place.

Le “Jaune”

La longévité du parcours de grimpeur de Jean lui permet d’avoir une vue d’ensemble de l’évolution du matériel, mais aussi des pratiques et des techniques. Un point marquant est que Jean a vécu l’apparition et la démocratisation de l’escalade libre en France. Plus encore, il en a été l’un des acteurs dans les Alpes-Maritimes.

L’escalade libre consiste à gravir une paroi à mains nues, en utilisant uniquement les prises du rocher et son habilité technique. Elle se différencie de l’escalade artificielle, qui utilise le matériel pour aider la progression : pitons sur lesquels on tire ou on monte une échelle, coinceurs, crochets…

Dès 1964, Claudio Barbier, un grimpeur belge parmi les meilleurs de sa génération, s’implique corps et âme dans le développement de l’escalade libre. Sur les falaises belges, il commence à peindre en jaune les pitons qu’il n’utilise pas pour la progression mais uniquement pour l’assurage. Lorsqu’une voie est gravie intégralement sans « tirer au point », on dit alors qu’elle est « jaunie ». Bientôt, au Baou de Saint-Jeannet (Pays côtier niçois), de la peinture jaune apparait sur la tête des pitons.

Cette nouvelle pratique de l’escalade va petit à petit devenir la norme en falaise, avant d’arriver plus tard en montagne. Non sans tumultes, car deux courants de pensée s’affrontent sur le terrain. Les puristes du libre commencent à dépitonner les voies, les conservateurs les rééquipent.

Cette époque verra naitre dans les années 70 un code tacite de l’escalade libre, appliqué comme règle par la communauté pour savoir si une ascension répond ou non à des critères « éthiques ». L’escalade artificielle devient alors une discipline à part entière, pratiquée par un nombre réduit de personnes et le plus souvent sur des itinéraires jugés impossibles en libre… Jusqu’au jour où ils sont « jaunis ».

Jean, comme une bonne partie de ses contemporains, transformera petit à petit sa pratique pour finir par grimper essentiellement « en jaune ». Néanmoins, la bienséance autorise de « tirer au clou » dans certains cas. En particulier lorsqu’il s’agit d’ouvrir une nouvelle voie. L’engagement mental nécessaire pour se lancer dans l’ascension d’un itinéraire qui pourrait se révéler impossible rend acceptable le fait de s’aider du matériel. Lorsque la voie est ouverte par contre, la première préoccupation des ouvreurs sera souvent de la « libérer ». C’est à dire de la gravir intégralement sans s’aider du matériel en place pour la progression, et aussi sans tomber !

Coinceur

Parmi les points d’assurage à la disposition des grimpeurs pour se protéger, le coinceur fait son apparition dans les années 60.

D’abord constitué d’une cordelette dans laquelle est passée un écrou et un tube métallique, les modèles de coinceurs les plus utilisés de nos jours sont appelés “câblés” ou coinceurs à câble.

On parle également de coinceur pour désigner les coinceurs mécaniques à cames. Ces derniers, très pratiques pour se protéger en montagne et en terrain d’aventure sans points en place, sont constitués de cames rétractables permettant de les glisser dans une fissure ou un trou. Ils sont régulièrement appelés “Friends”, en référence au nom commercial utilisé à l’origine par leur inventeur américain Ray Jardine. Les friends font partie de l’attirail classique des grimpeurs en terrain d’av’ et des alpinistes.

Spit

“Spit” est le nom couramment donné aux pitons à expansion. C’est un système d'ancrage permanent constitué d'une tige expansive, sur laquelle est généralement vissée une plaquette. Ils sont utilisés comme point d'assurance en escalade libre, comme point de progression en escalade artificielle ou comme point de relais.

L’arrivée des spits, apportant une sécurité supplémentaire par leur solidité (lorsqu’ils sont en bon état !) a grandement participé au développement de l’escalade sportive. Dans ce type d’escalade orientée vers la performance, on place sur la paroi des points rapprochés et à la solidité indiscutable. Cela permet aux grimpeurs de se concentrer sur l’escalade, la chute étant alors dans la majorité des cas sans conséquence.

Mais est-ce parce que le spit existe que l’on doit l’utiliser partout ? Le débat fait rage dans la communauté des grimpeurs.

L’escalade en style traditionnel repose sur un équipement minimum de la paroi et sur la capacité du grimpeur à se protéger en utilisant les protections naturelles ou des protections amovibles telles que des coinceurs.

La question se pose alors du bon niveau d’équipement. Sous-équiper, c’est exposer les pratiquants à un risque pouvant être mortel. Sur-équiper un itinéraire existant, ouvert dans un esprit d’aventure à une époque où le matériel était minime, c’est risquer de le dénaturer.

Le dernier mot sur le bon niveau d’équipement revient traditionnellement à l’ouvreur de la voie. Mais lorsque celui-ci n’est plus là, la nature subjective de son objet peut rendre le débat très animé. Et lorsqu’un équipement « trop sportif » vient coloniser sauvagement une voie historique, marteaux et disqueuses ne tardent pas à être de sortie pour rétablir le caractère traditionnel.

Stéphane Benoist et Jean sont des acteurs de premier rang de cette protection du patrimoine montagnard.

Les grosses

Lorsqu’un alpiniste dit avoir grimpé “en grosses”, il évoque les chaussures de montagne.

Lorsque Jean débute dans les années 60, l’alpinisme comme l’escalade se pratiquent en chaussures de montagne lourdes et rigides. Avant la démocratisation du chausson d’escalade dans les années 70, un modèle de chaussure allégé et doté d’une semelle de gomme Vibram sera plébiscité : les Terray Saussois.

Les chaussons d’escalade, permettant une plus grande précision et l’utilisation de prises minuscules, seront un vecteur majeur d’augmentation du niveau maximum d’escalade à cette époque.

Patrick Berhault et l’alpinisme niçois

L’une des figures de cette évolution rapide de l’escalade dans les années 70 est Patrick Berhault. Né en 1957 en Auvergne, il déménage très jeune sur la côte d’Azur. Dès l’adolescence, il se passionne pour la montagne et pour l’escalade. Il abandonnera l’école après la seconde pour se consacrer entièrement à sa passion.

Le mentor de Berhault à la section niçoise du Club Alpin est Michel Dufranc, une autre figure de l’alpinisme niçois à cette époque, de même que sa femme Francine. Tous deux sont amis et partenaires de cordée de Jeannot. Rapidement, Jean et Patrick viennent à grimper ensemble au Baou de Saint-Jeannet et en montagne.

L’excellence technique et physique de Berhault, combinées à son investissement absolu dans la pratique, en font l’un des meilleurs grimpeurs au monde à cette époque. Il libère le toit d’Auguste, à La Turbie non loin de Nice, une voie d’escalade artificielle considérée comme le premier 8c de France.

En parallèle, il transpose ces capacités en montagne où il ouvre de nombreuses voies d’une difficulté croissante, en particulier dans le massif du Mercantour. Professeur à l’École national de Ski et d’Alpinisme, il sera l’alpiniste marquant par excellence de cette génération.

Si le niveau d’escalade de Berhault surpasse rapidement celui de Jean, de 18 ans son ainé, ils grimpent tout de même régulièrement ensemble. La créativité de Jean, sa connaissance encyclopédique des parois environnantes et sa soif d’ouvertures se combinent à merveille avec le « style Berhault ». Ensemble, ils ouvrent des itinéraires audacieux telle que la voie Benzaï (6b, 450m) en 1978 au Corno Stella, considérée comme l’un des itinéraires les plus durs des Alpes-Maritimes à cette époque. Ils ouvrent la voie en seulement 4 heures, un temps très difficile à atteindre encore aujourd’hui pour des répétiteurs de très bon niveau. L’ouverture de cette voie sera abordée dans le film et mise en scène en dessin animé. Au moment du tournage du film, la voie a d’ailleurs été répétée par Stéphane Benoist et Matthias Greyer, pendant que Jean est rentré au refuge avec Sacha, le fils de Stéphane après avoir gravi la voie historique de Cessole jusqu’au sommet.

La voie Gousseault

Dans le film, Stéphane Benoist évoque la dramatique ascension Gousseault-Desmaison aux Grandes Jorasses. Cette imposante face nord du massif du Mont-Blanc est l’une des plus difficiles des Alpes.

En février 1971, René Desmaison et Serge Gousseault tentent la première ascension hivernale de la Pointe Walker aux Grandes Jorasses. Bloqués dans leur ascension par les intempéries, en panne de nourriture, les mains de Serge Gousseault gelées, limités en pitons et cordes, ils échouent à 90 mètres du sommet, après avoir gravi une paroi de 900 mètres. Il meurt d'épuisement et de froid après 11 jours de haute lutte contre le rocher, la glace, le froid et les intempéries.

René Desmaison lui survit et est secouru in extremis. Leur dramatique cordée avait, à l'époque, suscité la polémique, notamment sur les secours en montagne.

L’Aiguille Verte, le Grand Capucin et le pilier Bonatti

Dans le film, Jean évoque ses ascensions à l’Aiguille Verte (couloir Couturier) et au Grand Capucin dans le massif du Mont-Blanc.

Il cite aussi l’effondrement du pilier Bonatti, sur la face ouest des Drus dans ce même massif. À partir de 1997, une série d'éboulements a profondément modifié la partie droite de la face, emportant complètement le pilier Bonatti en 2005.

L’Aiguille Verte (4122m)

La face ouest des Drus (3730m)

Le Grand Capucin (3838m)

Premiers baudriers

Dans leurs discussions à propos de l’évolution du matériel, Jean et Stéphane évoquent la ceinture d’encordement et les premiers baudriers.

Pour se remettre dans le contexte de l’époque, il faut bien comprendre que les grimpeurs et alpinistes évoluaient encordés à la taille, c’est à dire avec la corde directement nouée autour des hanches. Ce type d’encordement, en cas de chute dans du terrain vertical, peut occasionner de sérieux dégâts. Jean résume la situation en une phrase, la règle n°1 en alpinisme : “il valait mieux ne pas tomber”.

L’arrivée de la ceinture d’encordement et des premiers baudriers, comme le modèle “Jacques G Sell” ou le Whillans (du nom de l’alpiniste anglais Don Whillans), apportent confort et sécurité à la pratique.